La disposition générale des visages est commune à de nombreuses espèces de vertébrés. Souhaitant comprendre comme se formait le nez, Vincent Fleury, de l’antenne MSCmed située à l’école de médecine, a découvert que les trous du nez et les narines, se formaient suite à de fortes contractions des tissus de la face formant le territoire nasal présomptif. De surcroît, ces tissus présentent une organisation commandée par la physique, et établie extrêmement tôt au cours du développement, ce qui expliquerait la stabilité (« robustesse ») des visages (1).

Fig. 1 Les vertébrés présentent une structure de la face très voisine, avec un sillon reliant la bouche et le nez, très visible ou cicatrisé, et des sillons nasogéniens hérités de la structure de la blastula.

Les premiers visages sont apparus chez les animaux il y a 500 millions d’années. Cette disposition avec une bouche, des yeux, des ouïes ou oreilles et des narines, déjà visible chez les poissons placodermes du dévonien, a relativement peu changé depuis, tandis que de nombreuses autres parties du corps ont été radicalement modifiées au cours de l’évolution. Cela interroge sur les spécificités de la formation des visages. En effet, il y a quelque chose d’illogique sur le plan biologique, à ce qu’une organisation aussi complexe et étendue, puisse apparaître rapidement, pour ensuite ne plus changer.

Après avoir étudié les bases physiques de la formation des visages, notamment avec Anick Abourachid, du Museum d’Histoire Naturelle (Ref. 2), Vincent Fleury vient de montrer que c’est un mécanisme physique, dû à une très forte contraction de certains tissus de la face, évoquant un grognement ou un reniflement primitif, qui provoque l’ouverture des trous du nez au niveau des narines. Ces travaux ont été menés sur des embryons de poulet, mais leurs conclusions dépassent largement le seul cas de cette espèce. Ils renversent le point de vue en ce sens qu’une structure plane existe, au cour de l’embryogenèse, qui dessine un nez, mais qui doit encore se contracter et plier pour déclencher réellement la formation d’un trou à 3D. En quelque sorte, le grognement précède et déclenche la formation de son nez.

Chez tous les vertébrés, les embryons se développent avec la tête fléchie vers le bas, ce qui empêche de filmer convenablement les premiers stades de la formation de certaines parties du visage, telles que le nez. Vincent Fleury a inauguré une méthode où il sort les embryons de poulet de leur sac amniotique pour les installer dans une cellule en verre. Là, des rubans découpés dans une nacelle en plastique, servent d’oreiller pour orienter la tête de manière à ce que la face soit visible dans n’importe quelle orientation, pendant la suite du développement des embryons.

Fig.2 Mise en place de l’embryon sur des bandelettes de plastique permettant d’orienter la tête dans la position souhaitée.

 

L’embryon survit plusieurs heures (jusqu’à12 heures) dans ces conditions, ce qui est suffisant pour observer la formation des trous de nez.

Il est alors possible de filmer en haute résolution et d’analyser la formation du visage et du nez. C’est ainsi qu’a été constaté que les trous du nez proviennent d’un pli au coin de la bouche, qui suit un secteur de tissu triangulaire orthogonal à l’arc de la bouche. Il existe en effet dans le très jeune embryon une structure en anneaux et secteurs analogue à des cernes d’arbres et des quartiers d’orange, qui avait été modélisée dans un précédent travail (Ref. 1). La différence entre les fruits et les animaux, est que chez les animaux les fibres qui délimitent ces cernes et ces quartiers sont contractiles (ce sont des sortes de tout petits muscles déjà).

En se contractant, un secteur de « cerne » forme la bouche et plie en même temps deux boucles en lacet aux commissures de futures lèvres, qui vont former les narines. Leur ouverture a lieu dans un second temps, sous l’effet d’une très forte contraction des deux boucles, qui s’enroulent alors sur elles-mêmes vers l’intérieur de la tête.

Vidéo in vivo de l’ouverture du trou de nez, sous l’effet d’une contraction-délamination (Accélérée, la durée réelle est d’environ 1h).

L’implication de phénomènes répondant aux lois de la physique, plutôt que de la seule expression du génome, expliquerait naturellement pourquoi, chez les vertébrés, la structure générale des visages a si peu changé. La structure n’est pas arbitraire, elle ne peut changer au gré de feedbacks biochimiques, le pattern étant d’essence physique. Cependant, cette découverte révèle aussi l’existence de fibres contractiles qui jouent un rôle crucial dans la formation de la tête qui tirent sur l’embryon comme des haubans. Ces fibres sont organisées à angle droit.  Ces observations expliquent très naturellement pourquoi le nez est relié aux yeux et à la bouche (on se mouche quand on pleure en raison de l’existence d’un canal entre l’œil et le nez qui suit le pattern de lignes initial), et peut-être même la transition entre les agnathes et les gnathostomes. Une traction plus grande sur les fibres suffirait à expliquer la fermeture de la narine centrale des agnathes, et l’ouverture des narines latérales de gnathostomes, tandis que la mâchoire se forme par flexion de la tête. Plus généralement, ces travaux montrent que la formation des visages n’est pas arbitraire, et qu’elle procède d’un mécanisme de traction suivant des sortes de muscles ou tendons microscopiques, en petit nombre, ce qui expliquerait la robustesse des visages, et la modeste variabilité, au sein d’un pattern standard commun à de nombreux espèces. On comprend avec ces travaux pourquoi les visages apparaissent rapidement, pour ensuite ne plus changer : ils obéissent à une loi physique. Passé un certain seuil de pli, ils se forment, mais d’une façon déterminée, qui est commune à tous les animaux, de par la généralité des lois de la physique. Sur le plan philosophique, ces travaux font des visages des objets physiques, émanant de lois fondamentales, comme les spirales des galaxies ou les ellipses des planètes.

 

Ces travaux ont fait l’objet d’une actualité sur le site  de l’INSIS ici, et sur le site de la Fondation CNRS ici.

 

Références

1- V. Fleury V. Fleury. Dynamics of early stages of nose morphogenesis, Eu. Phys. J. E 45, 31 (2022). https://doi.org/10.1140/epje/s10189-022-00245-8

2 : V. Fleury, A. Abourachid, A biaxial tensional model for early vertebrate morphogenesis, Eu. Phys. J. E 45, 31 (2022). https://doi.org/10.1140/epje/s10189-022-00184-4

 

Contact : Vincent Fleury (MSC)

vincent.fleury@univ-paris-diderot.fr

© Tous droits réservés

© Tous droits réservés